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UNE SEMAINE DANS LES ROCHEUSES CANADIENNES

Q.-Tuan Luong
Berkeley, le 29 mars 1994.



J'ai rencontré Jim Frankenfield, mon compagnon de cordée recruté à travers le réseau, à l'aéroport de Seattle. Nous avons ensuite conduit jusqu'aux rocheuses canadiennes, pour être plus précis entre Banff et Jasper. Cette méthode de voyage s'avère tres économique, puisque j'ai dû dépenser à peu près $125pour le vol et $150pour les frais d'essence + logement + nourriture (l'essence est à peine plus chère au Canada qu'aux US). Jim est un de ces malheureux étudiants de thèse fauchés qui ont l'air d'abonder aux Etats-Unis. Il touche à peu près ce que je touchais à l'INRIA, mais le probleme est que lui, il a dû payer cher toutes ses études. Du coup, il me dit que presque tout ce qu'il possède, c'est son véhicule, un camping-car Volkswagen qui n'a pas moins de 23 ans et 350.000 km. Il ne roule pas si mal que cela d'ailleurs, mis a part des petits problèmes de réglage, cependant il nous a fallu deux jours pour aller de Seattle a Banff. Le fait qu'il soit fauché fait aussi qu'il ne possède pas de bons engins, ce qui n'aide pas dans la glace. Par exemple, le second jour, il a fait une chute (en second) avant une traversée que je n'avais pas pu protéger suffisament à cause du tirage (j'ai dû enlever une broche pour réduire le frottement qui m'empêchait de grimper), s'est retrouvé dans une partie légèrement surplombante, et nous avons dû arrêter là. Le talon d'Achille de la plaque New-Alp.

L'essentiel des rocheuses canadiennes se situe sur un axe qui va de Banff à Jasper. Entre ces deux villes, séparées par pres de deux cent cinquante kilomètres, il n'y a pratiquement que de la montagne. Ce sont d'ailleurs des beaux sommets, ornés de corniches et de glaciers suspendus, tels qu'on en voit pas aux Etats-Unis. Le Canada est encore plus vide que l'Ouest de Etats-Unis. Il vaut mieux ne rien oublier d'acheter avant de quitter la civilisation ! Les seules constructions que l'on trouve entre Banff et Jasper sont d'une part, un petit complexe touristique (magasins de souvenirs, motel, essence), un centre d'accueil du parc national (fermé a cette époque de l'année), et le gite. Malgré l'appellation (hostel) c'est plus un refuge de montagne. A certains égards, il est plus rudimentaire que ceux qu'on a dans les Alpes, puisqu'il n'y a pas d'eau courante (il faut aller la chercher dans des seaux a la source) ni d'électricite (l'éclairage est au gas, le chauffage au poele à bois, au petit matin il fait 2 degres a l'intérieur). Les seules personnes qui le fréquentent en hiver sont les glacieristes. C'est un beau coin, mais qui d'autre viendrait ?

Le premier jour d'escalade, j'ai constaté que la glace était un peu pourrie. Je me suis rappelé ce que Godefroi m'avait dit: lors de son premier voyage là, en 1987, c'etait tellement mauvais qu'il était vert de peur et pensait même arrêter la glace. Pour qu'un gars aussi experimenté et motivé que lui aie ce genre de pensée, cela devait être quelque chose. En fait, quand je l'ai vu, il m'a dit que ce n'était pas si mauvais que cela cette année, mais le souvenir de son propos m'avait refroidi un peu, suffisament pour renoncer aux plus grands objectifs, d'autant plus que mon partenaire n'était pas si fort. Le problème est qu'il avait fait trop chaud la semaine précedente, ce qui a eu pour effet de pourrir la glace, en particulier celle exposée au soleil. Même la semaine ou j'etais là, le refroidissement n'était que relatif (-5 a l'ombre dans la journée), et dans pas mal de sections verticales, j'ai encore dû lutter contre l'eau. Je vais me faire faire des lentilles de contact pour la prochaine saison, car l'eau modifie l'indice de réfraction du verre, si bien que je ne vois plus rien quand mes lunettes sont mouillées. Je me souviens en particulier avoir eu pas mal de difficulté dans une longueur de Curtain Calls qui n'était que de grade 5, car la glace était à la fois stalactitée et mouillée. Quand elle n'est que stalactitée, c'est technique car la glace est fragile, et la progression se fait pas mal sur crochetages, quand c'est seulement mouillé, c'est facile car les piolets rentrent comme dans du beurre, en revanche, quand c'est stalactité et mouillé, il n'y a pas grand chose de solide.

Le Weeping Wall n'est qu'à cinq minutes de la route. Quand on le voit de là, on est au début un peu déçu, car les dimensions sont trompeuses, avec son aspect de terrain de football vertical. Ce n'est qu'au pied que l'on réalise le gigantisme de cette cascade. Nous avons fait une longueur dans la partie gauche, avant de redescendre sur cordelette, une pratique à présent bien établie dans cette région. Il y avait une croûte de mauvaise glace en surface. Du coup, j'ai prefere ne pas tenter Weeping Pilar (enchainement de la partie centrale de Lower Weeping Wall et de la partie de droite de Upper Weeping Wall), car dans cette voie, il y a du grade 6 qui se grimpe à partir de relais suspendus sur glace. Cela devait être cependant faisable, puiqu'un guide canadien, Guy, a parcouru cette voie pendant notre séjour, en tirant des longueurs de 75m (avec son rappel de 100m mis en simple) dans lesquelles il plaçait trois broches. Mais cette année, je n'avais pas beaucoup grimpé précédemment, et étais loin d'avoir la forme que j'avais quand j'ai tenté la tête de Gramusat, en 1992. Suite à des cordes bloquées par le gel, nous avons perdu un peu de temps, et nous nous sommes retrouvés, après avoir fait Lower Weeping Wall par la droite (où la glace, visiblement plus bleue, est meilleure) face à une descente inconnue, de nuit, et sans lampes (on ne pense pas toujours a tout). Nous sommes finallement arrivés en bas vers 10h du soir, et qui vois-je avancer vers moi en me disant "Alors, on cherche à faire une première nocturne ?": le Maitre. Godefroi Perroux et Nathalie étaient avec un stage, et nous ayant repérés dans l'après-midi, revenaient faire un tour pour voir ce qui se passait. Merci God, je savais que tu trainais souvent par là, mais je ne m'attendais pas à te voir à ce moment. Le lendemain, nous sommes allés voir Oh le tabernacle, je dis bien voir seulement, car il y avait une cordée de trois plutôt lente, et nous ne voulions pas finir trop tard pour pouvoir nous coucher de bonne heure. Le fait d'avoir oublié mes crampons n'avait pas arrangé les choses non plus. Mais ce n'était que le début de la malchance.

Nous sommes partis dans Polar Circus vers 7h du matin. Il y a quand même 500m de dénivelée et du grade 5, dans une grande ambiance due à la profonde entaille dont est issue la cascade. Cet itinéraire est connu pour les risques d'avalanche, mais comme les dernières chutes de neige significatives dataient à présent de plus d'une semaine, et comme plusieurs cordées avaient fait la voie entretemps, nous étions confiants. La première section est une succession de ressauts plutôt peu raides, et juste avant le mur terminal, il y a des pentes à traverser, qui étaient en neige non transformées. Avant le dernier mur, nous tassons la neige, et laissons sur le côté mon sac. Ce mur se compose en fait d'une sucession de trois ressauts, chacun de deux longueurs. La glace y était très bonne, en contraste avec les jours précédents, ce qui a fait paraitre l'escalade vraiment facile. D'ailleurs je ne pense pas qu'elle soit objectivement bien difficile, et qu'il ait plus de 30m de vertical dans toute la voie. Malheuresement, nous rencontrons encore une autre cordée, et perdons pas mal de temps à cause de cela. Pourtant, à 3 heures de l'après-midi, nous arrivons ensemble au relais sous la dernière longueur, et en fin d'après-midi, je mousquetone le relais terminal de la voie. Jim mettra pas mal de temps pour achever la longueur, car il est à présent fatigué, et choisit de remonter au jumar. Il est dans une section verticale, quand je vois arriver vers moi un nuage de neige accompagné d'un vrombissement. Pas de peur, mais un grand étonnement, puis la sensation d'une puissante traction, qui me fait perdre l'équilibre et toute orientation pendant presque une longue minute. Le relais a tenu. L'avalanche sera passée par dessus Jim, et ce n'est qu'à la descente que nous nous rendrons compte de son ampleur. Cette descente...une succession de problèmes de rappels tels que j'en ai jamais connus. La corde gelée coincée, avec seulement un brin en notre possession, puis manquant d'être coincée presque à chaque fois. Les mètres manquants (j'ai pourtant en principe 50m) pour atteindre les relais. Nous arrivons en pleine nuit là où nous avions laissé le sac. En lieu de neige poudreuse, tout est tassé, et le sac a disparu. Finalement, ce n'est qu'au petit matin que nous atteignons le gite. La saison de glace est finie pour moi, mais je reviendrai l'année prochaine.


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